Dernière mise à jour: 3 juin 2025
Les arrêts de la CJUE dans les affaires C-652/22 | Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret et C-266/22 | CRRC Qingdao Sifang et autres – Un instrument pour favoriser l’exclusion des offres provenant de pays tiers des procédures de passation des marchés publics ?
Auteurs : Teodora KOLETSIS, Avocate Associée, et Florin DOGARU, Avocat Senior
Le déséquilibre existant sur le marché des marchés publics de l’UE entre les opérateurs économiques de l’UE et ceux des pays tiers
Un problème récurrent affectant les procédures de marchés publics au sein de l’Union européenne tient au fait que les opérateurs économiques soumissionnant pour des biens, services ou travaux originaires de l’Union (« offres de l’UE ») se trouvent fréquemment désavantagés par rapport aux opérateurs issus de pays tiers, ou soumissionnant pour des prestations provenant de pays tiers avec lesquels l’Union européenne n’a pas conclu d’accord en matière de marchés publics (« offres de pays tiers »), en raison de la possibilité qui est laissée à ces derniers de participer, sans restriction, aux procédures de passation organisées par les pouvoirs adjudicateurs.
Un problème récurrent affectant les procédures de marchés publics au sein de l’Union européenne tient au fait que les opérateurs économiques soumissionnant pour des biens, services ou travaux originaires de l’Union (« offres de l’UE ») se trouvent fréquemment désavantagés par rapport aux opérateurs issus de pays tiers, ou soumissionnant pour des prestations provenant de pays tiers avec lesquels l’Union européenne n’a pas conclu d’accord en matière de marchés publics (« offres de pays tiers »), en raison de la possibilité qui est laissée à ces derniers de participer, sans restriction, aux procédures de passation organisées par les pouvoirs adjudicateurs.
Ainsi, ce ne sont pas rares les cas où les offres de pays tiers présentent des prix nettement inférieurs à ceux des offres de l’UE , ce qui conduit à leur attribution dans la majorité des procédures de passation. Cette situation s’explique principalement par le fait que les opérateurs, les biens, les services et les travaux issus de pays tiers ne sont pas nécessairement soumis à l’obligation de respecter des normes environnementales, sociales ou de travail similaires ou équivalentes à celles en vigueur dans l’Union. De même, les soumissionnaires de pays tiers ne sont pas assujettis, de manière obligatoire, à des normes strictes en matière d’aides d’État comparables à celles applicables dans l’UE.
Ainsi, ce ne sont pas rares les cas où les offres de pays tiers présentent des prix nettement inférieurs à ceux des offres de l’UE , ce qui conduit à leur attribution dans la majorité des procédures de passation. Cette situation s’explique principalement par le fait que les opérateurs, les biens, les services et les travaux issus de pays tiers ne sont pas nécessairement soumis à l’obligation de respecter des normes environnementales, sociales ou de travail similaires ou équivalentes à celles en vigueur dans l’Union. De même, les soumissionnaires de pays tiers ne sont pas assujettis, de manière obligatoire, à des normes strictes en matière d’aides d’État comparables à celles applicables dans l’UE.
Les mesures prises au niveau de l’UE pour assurer une concurrence équitable entre les offres de l’UE et celles de pays tiers. Impact sur le plan local
Dans ce contexte, l’établissement de conditions de concurrence équitables entre les entreprises de l’Union européenne et celles établies en dehors de l’Union, dans le cadre des procédures de passation, est devenu un objectif prioritaire au niveau européen. À cette fin, plusieurs actes normatifs ont été adoptés au niveau de l’Union, visant principalement à sensibiliser, en particulier les pouvoirs adjudicateurs, au fait que les opérateurs économiques issus de pays tiers qui n’ont conclu aucun accord avec l’UE en matière de marchés publics – ou dont les biens, services ou travaux ne sont pas couverts par un tel accord – ne bénéficient d’aucun droit d’accès garanti aux procédures de passation de marchés publics dans l’Union et peuvent, en conséquence, être exclus de ces procédures.
Une première étape en ce sens a été franchie par la Commission européenne, qui a publié une Communication relative aux lignes directrices concernant l’accès des soumissionnaires et des produits originaires de pays tiers aux marchés publics de l’Union européenne (2019/C 271/02). Par cette Communication, a été consacrée pour la première fois une interprétation a contrario des dispositions de l’article 25 de la Directive 2014/24/UE et de l’article 43 de la Directive 2014/25/UE, selon laquelle « les opérateurs économiques provenant de pays tiers qui ne disposent pas d’un accord prévoyant l’ouverture du marché des marchés publics de l’Union européenne, ou dont les produits, services ou travaux ne sont pas couverts par un tel accord, ne disposent pas d’un droit d’accès sécurisé aux procédures de passation dans l’UE et peuvent être exclus ».
Toutefois, dans la mesure où ces lignes directrices de la Commission européenne n’avaient pas de caractère contraignant, la réticence des pouvoirs adjudicateurs au sein de l’UE à exclure les offres émanant de pays tiers des procédures de passation a persisté, dans une certaine mesure, même après leur publication. Il était en effet considéré, sur un plan théorique, qu’un risque subsistait de voir ces autorités tenues responsables d’une éventuelle violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination en cas de recours à une mesure d’exclusion de telles offres.
Cette insécurité juridique prétendue a toutefois été entièrement réglée avec l’entrée en vigueur du Règlement (UE) n° 2022/1031 du Parlement européen et du Conseil du 23 juin 2022 relatif à l’accès des opérateurs économiques, des biens et des services de pays tiers aux marchés publics et aux contrats de concession dans l’Union, ainsi qu’aux procédures visant à soutenir les négociations concernant l’accès des opérateurs économiques, des biens et des services de l’Union aux marchés publics et aux contrats de concession dans les pays tiers (Instrument relatif aux marchés publics internationaux – IPI) (« le Règlement (UE) n° 1031/2022 »). Ce règlement consacre, pour la première fois et à titre contraignant, l’interprétation a contrario des dispositions de l’article 25 de la directive 2014/24/UE et de l’article 43 de la directive 2014/25/UE, telle que formulée par la Commission européenne dans sa Communication relative aux lignes directrices sur l’accès des soumissionnaires et des produits originaires de pays tiers au marché des marchés publics de l’UE.
Toutefois, au niveau national, en Roumanie, les efforts entrepris à l’échelle européenne ont été mal interprétés. Au lieu de mettre en œuvre des mesures visant à sensibiliser les pouvoirs adjudicateurs à la possibilité qui leur est offerte d’exclure les offres émanant de pays tiers des procédures de passation, les autorités compétentes ont modifié la législation relative aux marchés publics par l’adoption de l’Ordonnance d’Urgence du Gouvernement n° 25/2021 relative à la modification et au complément de certains actes normatifs en matière de marchés publics (« OUG n° 25/2021 »), en imposant aux pouvoirs adjudicateurs l’obligation (et non la possibilité) d’exclure des procédures de passation les opérateurs économiques originaires de pays tiers avec lesquels l’UE n’a pas conclu d’accord en matière de marchés publics.
Comme nous le démontrerons, cette ingérence des autorités roumaines dans le domaine de la politique commerciale commune a été sanctionnée par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt rendu dans l’affaire C-266/22 | CRRC Qingdao Sifang et autres.
Clarification essentielles apportées par les arrêts de la CJUE dans les affaires C-652/22 | Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret et C-266/22 | CRRC Qingdao Sifang et autres
Nous considérons que, par les arrêts rendus dans les affaires C-652/22 | Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret et C-266/22 | CRRC Qingdao Sifang et autres (« les arrêts de la CJUE »), la Cour de justice de l’Union européenne a fourni aux pouvoirs adjudicateurs de l’UE tous les outils nécessaires pour rétablir l’équilibre sur le marché des marchés publics de l’Union et garantir ainsi des conditions de concurrence équitables entre les offres de l’UE et celles de pays tiers.
Ainsi, par ces deux arrêts, la CJUE a statué de manière explicite, entre autres, le fait que :
- La directive 2014/24/UE (le même raisonnement étant aussi applicable à la directive 2014/25/UE) doit être interprétée en ce sens que l’accès des opérateurs économiques issus de pays tiers avec lesquels l’Union européenne n’a pas conclu un accord international garantissant un accès égal et réciproque aux marchés publics de l’Union, n’est pas garanti. Cela implique que ces opérateurs peuvent être exclus des procédures de passation ou, le cas échéant, y être admis, sans toutefois pouvoir revendiquer un traitement égal de leur offre par rapport à celles présentées par les soumissionnaires des États membres ou de pays tiers liés à l’UE par un tel accord.
- Il appartient exclusivement à l’Union européenne de déterminer, par un acte de portée générale, les conditions d’accès aux procédures de passation de marchés publics sur son territoire pour les opérateurs économiques provenant d’un pays tiers n’ayant pas conclu avec elle un accord international assurant un accès égal et réciproque. Cet acte peut soit garantir leur accès, soit prévoir leur exclusion, soit encore instaurer un mécanisme d’ajustement du score attribué à leurs offres par comparaison avec celles des autres soumissionnaires. À cet égard, dans l’arrêt rendu dans l’affaire C-266/22 | CRRC Qingdao Sifang et autres, la CJUE a jugé que les dispositions de l’OUG n° 25/2021, imposant aux autorités contractantes roumaines l’obligation (et non la faculté) d’exclure de telles offres, ne sauraient être appliquées, une telle obligation ne pouvant découler que d’une disposition du droit de l’Union.
- seuls les pouvoirs adjudicateurs sont habilités à décider s’ils autorisent ou non la participation, dans le cadre des procédures de passation qu’ils organisent, d’opérateurs économiques provenant d’un pays tiers n’ayant pas conclu avec l’Union un accord international garantissant un accès égal et réciproque aux marchés publics. En cas d’admission, ils peuvent également décider s’il est nécessaire de prévoir une modulation du score résultant de la comparaison entre les offres des opérateurs de l’UE et celles d’opérateurs de pays tiers. Par ailleurs, dans l’arrêt rendu dans l’affaire C-652/22 | Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret, la CJUE a expressément reconnu que les pouvoirs adjudicateurs peuvent prévoir, dans la documentation du marché, des modalités de traitement visant à refléter la différence objective entre la situation juridique des opérateurs issus de pays tiers n’ayant pas d’accord avec l’Union en matière de marchés publics et celle des opérateurs économiques établis dans l’UE.
À la lumière de ce qui précède, il apparaît, de lege ferenda, nécessaire que les autorités compétentes en Roumanie prennent des mesures d’information et de sensibilisation à l’attention des pouvoirs adjudicateurs, afin de leur rappeler qu’ils sont légalement habilités à inclure, dans la documentation d’attribution, des clauses prévoyant soit l’exclusion des offres émanant de pays tiers, soit une modulation du score attribué à ces offres par comparaison avec celles provenant de l’UE. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra effectivement garantir un cadre de concurrence équitable entre, d’une part, les entreprises proposant des biens, travaux ou services originaires de l’UE (lesquelles doivent, dans la fixation de leurs prix, respecter l’ensemble des normes et exigences européennes en matière de qualité) et, d’autre part, les entreprises proposant des biens, travaux ou services provenant de pays tiers avec lesquels l’UE n’a pas conclu d’accord international en matière de marchés publics, et qui ne sont donc pas soumises aux mêmes obligations normatives.